Est-il venu le temps du repos?

Dire ou se dire : Il faut que je me repose, c’est formuler un désir, un sentiment que l’on considère, sans y réfléchir, comme l’expression évidente d’un besoin élémentaire. Et pourtant, la nature du repos a toujours été liée à l’histoire de son époque.

Frédéric Bagutti
4 min readDec 15, 2022

« C’est dans les moments de repos que l’on sait à quoi on pense. » – Propos d’Alain, 1909

La fin de l’année calendaire approche et pour certains voici venu le temps du repos convoité.

Dire ou se dire : Il faut que je me repose, c’est formuler un désir, un sentiment que l’on considère, sans y réfléchir, comme l’expression évidente d’un besoin élémentaire.

Et pourtant, au cours de l’histoire humaine, le repos a signifié bien des états différents, comme nous le rappelle l’historien Alain Corbin dans son dernier ouvrage, Histoire du Repos (2022).

Au commencent, du moins dès le triomphe du christianisme, il s’est agi, essentiellement, de repos éternel. Le repos, c’était après la vie.

Et ce qui pouvait être alors qualifié de repos dominical signifiait avant tout vivre un temps totalement consacré à Dieu, durant ce qui était non pas le dernier jour de la semaine mais bien le premier, en référence au premier jour de la Création dans la Genèse, celui où Dieu a créé la lumière, inaugurant un nouveau transfert d’énergie et recommençant un nouveau cycle. Le repos du dimanche n’avait alors absolument rien à voir avec l’oisiveté.

Entre les XVIe-XVIIIe siècles, l’antonyme du repos n’était pas la fatigue mais l’agitation, et être en repos, selon les moralistes d’alors, c’était avant tout fuir l’agitation. En fin de vie, il était de bon ton d’envisager et d’organiser une retraite qui soit repos, conçu comme moment de méditation.

Au XVIIIe siècle, l’ascension du sentiment du moi vit poindre l’importance thérapeutique du repos. Il ne s’agissait cependant pas de lutter contre la fatigue mais contre des maladies soigneusement détaillées, et en particulier la tuberculose.

La première révolution industrielle, celle de la machine à vapeur, modifia ensuite profondément l’histoire du repos. Alors qu’au sein des ateliers mécanisés, et plus encore des usines, l’exigence d’exactitude se renforçait, le temps de travail devint chronométré, la vie des individus devenant réglée dans les moindres détails pour garantir une efficacité maximale, et les interstices dans lesquels des fragments de non-travail pouvaient naguère subrepticement se glisser au sein du temps de labeur disparurent peu à peu, autant que possible. Des formes de fatigues nouvelles apparurent et la durée des pauses fût définie afin de réguler le temps de travail. Au XIXe siècle, fatigue et repos se sont ainsi de plus en plus étroitement associés. Le repos devint dès lors une injonction au sein des écoles et des usines. Il entra dans la liste des revendications majeures et devint un objet politique.

Au cours du XXe siècle, le repos devint le remède à la fatigue mentale, généralement associée à une altération des capacités cognitives et conséquence d’un cerveau surstimulé. Le besoin de repos changea ainsi peu à peu de nature: la fatigue psychique tendant à en monopoliser l’urgence, on ne parla bientôt plus guère de repos mais plutôt de moments de détente; ce qui revint à remplacer la fatigue par une tension, un mal-être, et plus récemment le « burn-out », qui reste encore aujourd’hui en cours de définition sociale.

Le grand siècle du repos culmina à la fin des années 1950, décennie du « sea, sex and sun » et vogue des congés payés, une époque qui promulguait une forme douce du désir, née à bord des transatlantiques à la fin du XIXe siècle. Le développement des sports nautiques mettant ensuite à mal le repos physique symbolisé par le bronzage immobile, le loisir remplaça le repos, il en occupa le temps et en envahit l’espace. Aujourd’hui encore, dès qu’il s’échappe du travail, « l’homo festivus » ne songe pas tant à se poser qu’à «rentabiliser» son loisir, quitte à suivre assidûment des cours de « mindfulness ».

Les différentes formes du repos qui nous ont accompagnés à travers les âges sont encore présentes en nos esprits, de façon plus ou moins floue, résidus de notre histoire commune, ancrées avec plus ou moins de poids dans nos histoires familiales et personnelles.

Que ce soit tout faire pour ne rien faire, faire moins, ou autrement, les mêmes choses, voire explorer avec intensité de nouvelles activités, ou encore tenter de faire rien, à moins que ce ne soit pas encore le bon moment pour l’accueillir (il y a encore tant à accomplir!), puissiez-vous trouver une forme de repos qui vous convienne au mieux en cette fin d’année.

Comme l’écrivît il y a déjà bien longtemps, bien avant l’arrivée des Fêtes de fin d’année, le célèbre philosophe présocratique Pythagore – en réalité, Pythagore ne prit jamais la peine d’écrire au cours de sa vie, peut-être trop occupé à penser, réfléchir, partager et échanger avec ses contemporains, il ne sentit pas le besoin d’ajouter quelque activité d’écriture à son existence: Reposez-vous d’avoir bien fait, et laissez les autres dire de vous ce qu’ils veulent.

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Frédéric Bagutti

Organizational psychologist, executive and team coach, coach supervisor, MSc, DESS, EMCCC INSEAD. You can find me at: www.bagutticonsulting.com